LES "RITALS BERGAMASQUES"
DU PLATEAU D'AVRON

En hommage et en souvenir de tous ces « ritals » qui ont œuvré dans les carrières de gypse et qui « ont fait » le Plateau d’Avron avec les entreprises de bâtiment dans lesquelles ils exerçaient tous les métiers ( maçon , plâtrier , menuisier , carreleurs ,plombier …)ou fermier.
Certaines de ces entreprises existent encore et sont dirigées par des descendants de ces pionniers.Une boutade était souvent entendue à leur propos : ces « ritals » sont nés avec une truelle à la main ...
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Ce qui va suivre est pour l’essentiel issu des souvenirs recueillis en 1992 auprès d’une « ritale » avronnaise de 88 ans qui se souvenait aussi de ce que lui racontaient ses parents arrivés dans les premières années du 20ème siècle . Un historique de quelques familles ( Mologni , Gusmini , Vavassori, Carrara etc …permettra de retracer un peu la vie et l’ambiance familiale de l’époque. |
Les « ritals » un dimanche de 1913 chez « François » |
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UN PETIT PEU D’HISTOIRE
Au début des années 1900 les premières familles italiennes sont arrivées de façon significative en France. En particulier Paris et sa banlieue représentaient pour beaucoup d’italiens l’Eldorado : travail et vie plus facile... A Paris c’était les années folles, la belle époque…..
Souvent issus de familles nombreuses et vivant dans des conditions difficiles compte tenu de la misère qui régnait en Italie les premiers travailleurs immigrés s’empressaient de faire savoir à la famille et aux amis restés au pays que la vie était meilleure en France et qu’il y avait surtout du travail , donc une source de revenus .
Sur la photo ci contre des ouvriers italiens construisent la Voie Lamarque reliant les carrières de gypse au pied du Plateau d’Avron à la Maltournée sur les bords de Marne ou se trouvait une usine ou le gypse était transformé en plâtre
En 1914 les ouvriers italiens de la région travaillaient dans les carrières , dans les champignonnières ou dans les entreprises de bâtiment
Tous ceux qui qui n’avaient pu acquérir la nationalité française (autrement dit la majorité d’entre eux ) furent « invités » par la France, compte tenu de la déclaration de guerre, a rejoindre l’Italie de gré ou…. de force.
Pour certains ils s’agissait d’aller faire leur service militaire en Italie avant d’être enrôlés d’office dans l’armée française (réquisitionnés?)
Pour d’autres c’était le retour au pays pour remplacer ceux qui étaient partis au front et qui ne tenaient plus leur place dans les fermes , les exploitations forestières ou les carrières (marbre) de la région.
Pendant la guerre de 14/18 les troupes italiennes combattirent contre l’Allemagne aux cotés des troupes françaises et alliées et notamment àVerdun.
Dès la fin de la guerre de 14/18 ceux qui avaient survécus revirent en France très rapidement car ils y avaient laissé un travail qu’ils espéraient reprendre , parfois une famille qu’il leur fallait rejoindre ou enfin parce qu’ils fuyaient le régime fasciste de Mussolini qui prenait de l’ampleur. Ils furent peu nombreux a prétendre fuir le fascisme mais cela se révéla être un bon motif qui , malheureusement devint beaucoup plus réel ensuite à partir des années 1922/1923.
L’ARRIVEE DES RITALS AU PLATEAU
C’est donc à partir du début des années 1920 que l’on vit arriver plus massivement sur le Plateau d’Avron et dans les villes voisines (Gagny~ Villemomble, Rosny ,Neuilly Plaisance) la vraie vague de «ritals » . I1 y avait du travail pour reconstruire la France d’après 1914 , la main d’œuvre manquait suite aux nombreuses victimes de la guerre ( morts et handicapés) et le salaire était suffisant pour vivre ,même petitement … pas comme en Italie de l’époque .
En matière de logement on se serra dans les familles , chez les amis ou encore dans les pensions de famille . . . .tenues par des italiens de la première heure... .puis petit à petit ils construisirent d’abord des maisons de fortune et mieux par la suite
Aujourd’hui ils ne reste sur le Plateau d’Avron que quelques « exemplaires » de ces « ritals » arrivés jeunes , avec leurs parents dans les années 1920 . Mais souvent leurs enfants se sont implantés sur place et l’on retrouve encore les noms cités ci dessus. Autrement dit le Plateau d’Avron. est pratiquement occupé par les « ritals » depuis près d’un siècle ……... !
Avec les cousins et les alliances par mariages certains noms représentent des branches différentes d’une même origine et d’une même région d’Italie (exemple :les Biava ,les Gusmini , Mologni , ..etc..) et vivent toujours au Plateau d’Avron sans l’avoir quitté et ce pour certaines famille , pour la 5ème génération .…. (exple : les petits derniers descendants de la famille Vavassori étaient encore à l’école primaire en 2005 sur les mêmes bancs que leurs parents, leurs grands parents ….)
Avec la crise économique de 29....les années qui suivirent furent difficiles pour ces « ritals » et ceux ci commencèrent à avoir « mauvaise presse » car ils prenaient le travail des français qui commençaient eux à connaître le chômage
L’EPOQUE DES « SALES RITALS » ou des « SALES MACARONIS »…..
Dès 1933/34 le travail manqua et le climat devint difficile ( sales ritals .., sales macaroni , retournez dans votre pays… etc....).
Les cartes de séjours (de couleur bleue) qui étaient délivrées et renouvelées régulièrement tous les 2 ans à ces travailleurs italiens devirent plus difficiles a obtenir et le seul salut étaient pour tous ceux qui avaient des enfants nés en France d’obtenir la naturalisation Quant à ceux qui ne pouvaient l’obtenir ils étaient expulsés et là commençait une vie clandestine avec le travail au noir . . . .car la carte de séjours bleue avait été remplacée par une carte «verte » qui signifiait (ou portait la mention?) « -Interdit de Travailler » -Cette carte « verte » n’avait qu’une durée de 2 mois mais permettait de rester en France…et devait être renouvelée avec un mois de préavis …..
Entre 1940/42 compte tenu de la prise de position de Mussolini dans la guerre , l’Italie s’associa aux Allemands . Les italiens qui avaient émigrés en France entre les 2 guerres pour fuir officiellement le fascisme furent un moment considérés par l’occupant ou les « collabo français » comme des « traîtres à Mussolini »( l’allié de Hitler) et arrêtés.
D’autres furent « réquisitionnés » pour le S T O ( Service du Travail Obligatoire en Allemagne)
Ceux qui , naturalisés français , faisaient leur service militaire ou qui s’étaient engagés dans l’armée française avaient pu quelques temps échapper à ces arrestations ou réquisitions....D’autres furent faits prisonniers en combattant et furent traités comme prisonniers en Allemagne (comme Albert Pégurri, bien connu au Plateau d’Avron , sous le diminutif de « Bébert »). D’autres prirent le maquis...et n’en revinrent pas.
Pendant la guerre 39/45 bien sûr demeurèrent sur le Plateau les familles avec les enfants nés français et dont le père ,naturalisé français, s’il n’était dans les cas ci dessus , travaillait dans les carrières de gypse lesquelles continuaient à fonctionner

Vieille photo vers 1925 d'un groupe d'ouvriers italiens devant l'entrée de la galerie à Neuilly plaisance. Comme dans les mines de charbon le cheval faisait partie du groupe. Il tirait les wagonnets dans les galeries.
Après la guerre ,(1945/1946 ) progressivement l’immigration reprit et on vit arriver ,en raison d’une vie toujours très difficile en Italie d’après guerre, la seconde génération de ritals qui trop jeunes étaient restée en Italie lors de la première vague des années 1920. Pour eux l’implantation était plus facile …. puisqu’ils avaient comme « point de chute » un
parent ou un ami déjà installé.
Dans un premier temps ces nouveaux arrivants prirent la relève dans les carrières avant de s’intégrer dans le tissus social . Jeunes , sans charges de famille ils se montrèrent plus entreprenant en créant des entreprises artisanales dans le secteur du bâtiment ou du commerce et embauchèrent … »des pays » Certains prospérèrent de façon significative .
Carriers bergamasques dans une galerie de gypse avec lampe à acétylène
L’INTEGRATION SUR AVRON
En ce qui concerne le mode de vie : les familles comptaient souvent plusieurs enfants et seul le mari travaillait. Aussi pour faire « bouillir la marmite » la mère s’occupait du poulailler , du clapier et faisait des ménages....ou des lessives dans les familles françaises bourgeoises dont il y avait un certain nombre au Plateau d’Avron .
Les maris souvent s’adonnaient à des travaux de maçonnerie soit pour agrandir avec des matériaux de fortune leur propre logement soit chez des « parisiens » plus ou moins aisés qui venaient en week end
Les enfants s’intégraient beaucoup plus facilement par l’intermédiaire de la scolarisation …..jusqu’au certificat d’études…Néanmoins les quolibets de « Sale rital , de « sale macaroni » ou autres amabilités entendues chez eux, tenant à la position de l’Italie pendant la guerre et répétés lors de différends entre écoliers ,donnaient lieux à des échanges « virils » dans la cour ….. Mais ce n’était en fait que superficiel entre enfants de cet âge …..d’autant qu’à une époque il y avait dans les classes autant de descendants de « ritals » que de français . Par ailleurs les parents « ritals » de crainte du risque d’une expulsion ou du risque de perdre leur travail ( risques en fait inexistant après la guerre , car on avait besoin de main d’œuvre dans les carrières …) ramenaient rapidement leurs « bambino » dans le droit chemin …
La famille comprenaient souvent le chef de famille , ses parents et ses enfants et tout ce petit monde vivait dans des conditions rudes ( pour ne pas dire rudimentaires) avec les poules , les lapins les chèvres , les canards , comme on le voit sur la photo de la famille Piccinini vers 1900
Un certain nombre des « hommes », le dimanche ( à l’époque ils travaillaient 6 jours sur 7 ) travaillaient « au jardin » le matin … et l’après midise retrouvaient dans les cafés du Plateau d’Avron souvent tenus par des italiens ( bergamasques) comme par exemple « A l’Etoile d’Avron » en haut de la rue des Fauvettes tenu par la famille Martinelli.
Un lieu de regroupement était bien connu par tous ceux qui travaillaient notamment à la carrière de Neuilly Plaisance : le Tabac Café Hotel Piccinini connu par la suite sous le prénom francisé de son propriétaire : « Chez François »
Les Piccinini avaient acquit cet établissement en 1910 . Situé juste face la sortie des carrières , ils avaient rapidement prospéré grâce aux carriers bergamasques qui s’y « désaltéraient » la journée terminée , qui s’y réunissaient le dimanche ou encore avec les célibataires qui y vivaient en pension .
Cet établissement existe toujours à l’angle de la Rue des Cahouettes et du Bois d’Avron ( Neuilly Plaisance)
Des cousins , des amis des villes voisines venaient les rejoindre , y parler du pays et y jouer aux cartes , à « l’amora » ou aux boules ….sans manquer d’ apprécier le vin local ( une petite piquette) ou en souvenir du pays de boire un mauvais vermouth ou le traditionnel Asti Spumente les jours de fête …..sans oublier , bien sûr , la traditionnelle « grappa »
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La photo a été prise un dimanche de 1930 devant chez « François » … on remarquera qu’il n’y a aucune femme |
La seconde génération ( les enfants des premiers émigrés) qui ont en 2008 entre 70 et 80 ans, plutôt que les jeux de cartes ou les jeux de boules ,préféraient s’adonner aux plaisirs de la danse ….Et au Plateau d’Avron il y avait 2 ou 3 petits bals du dimanche dans des cafés ….mais le « temple » de la danse était un dancing très réputé à plusieurs kilomètres à la ronde : LE CASINO …. Et là , la magie de la danse opérant, la mixité sociale et l’intégration ne posaient aucun problème …. conduisant à de nombreux mariage mixtes ….
Au niveau de la vie religieuse : les italiens ( ou plutôt les italiennes ) étaient très fervents et trouvaient dans la prière le réconfort de l’éloignement de la « chiesa » de leur pays . Lorsqu’en 1932 il fut question de construire une église sur le Plateau d’Avron , qui plus est dédiée à la « Madona » ( la Vierge) les italiens participèrent nombreux à la collecte des fonds dans la mesure de leurs modestes moyens .
L’après guerre fut marquée au Plateau d’Avron , et jusque dans les années 1950 , par l’annuelle mission italienne qui durait un mois à l’église Notre Dame de l’Assomption . Cette « mission » animée par des prêtres italiens et des religieuses italiennes de Noisy le Grand ou de Fontenay attiraient de toute la région une foule nombreuse. Beaucoup des participants …. venaient se purifier…. pour une année. !
Ce fut ensuite la 3ème génération ....celle des années 1939 à 1950, qui « occupa » le Plateau, mais pour la plupart née dans la région. On y retrouve dans les classes d’école des années d’après guerre des noms déjà connus localement avant la guerre comme les Gusmini, les Pezzoli , les Gamba, les Fortispada, les Sybella ,les Biava , les Gandossi ,les Vénuti, les Vavassori, les Gardoni , les Bosio , les Finetti , les Bréda , les Noris, les Fabris, les Flacadori , les Mutti, les Mismetti , les Musetti , les Lunini, les Grimaldi , les Miani ,les Gardoni , les Cambianica...etc.
D’OU VENAIENT ILS ,, ???
Un peu de géographie …….
Bergamo est situé dans la région montagneuse et es grands lacs du Nord de l’Italie à une centaine de kilomètre de Milan qui n’était pas à l’époque cette ville industrielle qu’elle est devenue aujourd’hui L’examen de la carte de la région permet de comprendre l’organisation sociale de la vie dans cette région montagneuse que l’on retrouve dans les Alpes Françaises, à savoir que les gens vivaient par vallée et communiquaient peu avec les vallées voisines car pour les rejoindre il fallait franchir la montagne. Il en résultait de très nombreux mariages entre familles des villages de la vallée et l’on retrouve dans tous ces villages de nombreuses familles qui portent le même nom sans pour autant savoir précisément quels sont les liens d’une famille à l’autre , ni à quel époque ces liens remonteraient . Les cimetières sont très instructifs de ce point de vue tant on y trouve des tombes portant les mêmes noms… et souvent des prénoms identiques ….Difficile de s’y retrouver !
D’une façon générale tous étaient désignés sous l’appellation de « bergamasque » car venant de la « Provincia di Bergamo »
La ville de BERGAME( Bergamo ) à la jonction de plusieurs vallées: Valle Brambana, Valle Sériana, Valle Camonica, Valle di Scalve, Valle Cavalina, etc
Le long de ces grandes vallées principales s’étageaient des villages et plus on s’éloignait de Bergamo ,plus on prenait de l’altitude. Il y avait aussi de petites vallées perpendiculaires comme Valle Rossa pour ne citer que celle à proximité des villages d’origines de nos « ritals » du Plateau. Vall’Alta est une petite vallée transversale de liaison qui abrite les villages de Cene, Fiobbio, Abbazia . Vall’Alta ( Haute Vallée ) se raccroche à la Valle Sériana au niveau de la Ville D' ALBINO dont nous reproduisons ci contre les armoiries.
Au plan de 1’ « histoire » de l’émigration des habitants de cette région via le Plateau d’Avron elle concerne , à cette époque , les habitants de tous les villages de la Valle Sériana ( la vallée formée par le torrent « Le Sério » ) et de Vall’Alta.A titre d’exemple et pour ne citer que quelques noms connus au PLATEAU d’AVRON , les Vavassori sont originaires de Nembro et de Spinone , les Carrara et les Noris de Fiobbio et de Pradalunga , les Cugini de Abbazia , les Gusmini de Vertova , les Bréda de Colzate , les Pezzoli de Leffe , les Gamba de Peia, les Mologni de Bondo-Petello, les Finetti …..et tant d'autres nom ritals connus sur Avron et que l'on ne peut tous citer ici .
Par les nombreux mariages on retrouve ces familles aujourd’hui éparpillées dans les différents villages et il est difficile de distinguer maintenant qui est véritablement originaire d’où … Seule la référence aux « ancêtres « de la fin du 19ème siècle /début 20ème peut permettre de situer le berceau d’une famille .
Pour les autres vallées qui aboutissent à Bergamo ou celles plus au sud entre le Pô et la Mer on retrouve des « tribus de ritals émigrées » dans d’autres parties de la région parisienne comme à Nogent , Fontenay, Le Perreux, Champigny avec d’autres noms dont là aussi on retrouve des implantations locales au niveau des descendants comme Taravella, Pavari, ,Colucci (dont un descendant sera connu sous le nom d’artiste francisé de ...Coluche), Rocca , Pianetti , Cavana dont un des descendant est l’écrivain qui a notamment écrit un livre passionnant ( Les Ritals) qui est authentique de vérité.
On retrouve également des « tribus ritales » d’autres vallées regroupées sur Clichy sous Bois , Gagny ,Le Raincy ,là ou se trouvaient également des carrières de gypse ( sous le Plateau du Raincy /Montfemeil) . Il existe au Raincy une association de bergamasques très active : « Les amis de Clusone » . D’autres « tribus » sont sur les villes de Drancy, Le Blanc Mesnil, Le Bourget
Depuis 2001 la province de Bergamo organise tous les deux ans une rencontre internationale des bergamasques monde (« Noter bergamàsch , Incontro Internationale dei bergamaschi nel mondo) à laquelle de nombreux « ritals d’avron » ou de leurs descendants participent . La dernière rencontre a eut lieu en Mai 2007 et la prochaine aura lieu en Mai 2009 .
Il existe également un « Cercle des Bergamasques » dans la région qui assure de nombreuses réunions festives , repas et des animations . Sa présidente est une descendante d’une famille de « ritals d’avron » : Mme Nanda Masserini 21 Rue Jean Jaurès 93360 Neuilly Plaisance ( Tel 01 43 00 14 86) avec laquelle on peut prendre contact pour adhérer , se rencontrer et s’inscrire pour la prochaine rencontre biennale à Bergamo.
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